Voilà donc le groupe désorienté, sachant qu’il n’est plus possible de continuer ‘comme avant’ mais ne sachant pas trop où atterrir. Et même si l’idée paraît intéressante d’atterrir vers le terrestre*, les pistes d’atterrissage sont encore en expérimentation, en construction, en création…
Nous proposons maintenant de rentrer dans une partie plus interactive du processus, qui va permettre aux participant.e.s de commencer à se situer et à sentir ce qui les émeut afin de trouver leurs concernements. Car si dans la métaphore de l’avion nous étions perdu.e.s dans le ciel, dans nos ateliers, nous ne savons plus trop quel est le sol sous nos pieds et comment le restituer. Dans cette partie, nous proposons de questionner la compréhension des interrelations entre tous les problèmes qui touchent aux questions du nouveau régime climatique*.
Nous utiliserons le parcours que nous propose Paul Chefurka avec l’exercice Dans quels pays habitez-vous ? Cet exercice aide à situer les participant.e.s dans la complexité de ces grandes questions écologiques. Nous suggérons aussi d’utiliser des exercices, tels Un pas en avant : ce que j’aime faire ou pas sur mon territoire et La question « un aspect qui me touche personnellement et dont je perçois qu’il est menacé », qui permettent à chacun.e de parler de son territoire, de ce qui l'émeut, ce qui le/la touche, le/la met en colère, etc.
Cela permet de commencer à mettre en avant l’importance des affects singuliers de chacune et chacun. Ceci permet aussi de faire groupe, de commencer à comprendre les concernements de chaque participant.e et de réapprendre à se situer. De plus, cela permet de commencer un certain travail préparatoire pour la suite et une des essences des cheminements : passer de l'idéologie et des réponses globales à un positionnement précis et situé dans des territoires de subsistance*.
Nous proposons généralement ce genre d'exercice plus simple dans le début des ateliers pour permettre à chacun.e de commencer à s’exprimer et à trouver sa place dans les exercices qui sollicitent chaque membre du groupe.
Décrire son territoire de subsistance*
Une des propositions majeures de Bruno Latour est de proposer d’apprendre ou de réapprendre à décrire. Et nous pouvons vous assurer que c’est un exercice beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Il nous invite à faire des descriptions relationnelles, des descriptions des territoires et des relations qui le composent, c’est-à-dire à mentionner le type de lien, ce qui circule et comment, la qualité des interactions et non seulement les identités qui composent ce territoire.
C’est pourquoi, avant de rentrer dans le vif du sujet avec le questionnaire de subsistance, nous proposons généralement un exercice de description : l’exercice du verre d’eau. Nous proposons au groupe de décrire de quoi dépend un verre d’eau du robinet de notre cuisine et ainsi d’apprendre à faire des descriptions précises et situées, à sortir des idéologies pour aller vers le concret.
En tant qu’animateur.rice c’est une partie assez difficile à animer, car il faut être vigilant.e à la précision des réponses des participant.e.s. L'exercice permet de comprendre l'importance d'apprendre à décrire à un niveau très concret, pixel par pixel, les choses dont nous dépendons. Et de mettre en évidence qu’il est fréquent que les vivant.e.s non humain.e.s soient spontanément peu présent.e.s dans nos premières réflexions et que nous ne connaissons pas avec précision notre territoire de subsistance*.
Il est important de veiller à ce que les participant.es ne se retrouvent pas trop écrasés par le poids des relations de dépendances qui touchent à la planète. Il faut rapidement introduire la notion d’affect, de concernement personnel, des endroits où l’on peut avoir prise afin de rebondir, pour que chacun.e trouve sa place.
Une fois l’exercice du verre d’eau passé, le moment est venu de se lancer dans les questionnaires de subsistance afin de commencer à esquisser nos territoires de subsistance*. Cela se fait à travers 3-4 questions précises qui se retrouvent dans les fiches d’animation.
Il est à nouveau important que l’animation guide vers des réponses précises, situées, concrètes. Des réponses qui prennent en compte tous les éléments (très précisément) : le nom de la personne à la commune, la personne ressources dans une association, l'histoire du village, de l’association… et bien sûr nos interrelations, entre humain.e.s, et avec les autres qu’humain.e.s. De plus, soyez attentif à bien prendre soin que chacun.e plonge dans ses concernements, ses affects. Chaque membre du groupe n’a évidemment pas la même facilité à trouver ses affects. soyez donc vigilant que chacun.e trouve son chemin à sa vitesse.
Déployer son concernement
Nous voilà, maintenant avec une ébauche de premières réponses à des questions de subsistance et les participant.es commencent doucement à mieux sentir leurs affects. Mais qu’allons-nous proposer ensuite ?
On va essayer de mettre cela en forme, pour l’affiner, le travailler, le questionner et entamer un travail d’enquête avec le groupe.
Une des hypothèses de ces cheminements est qu’un travail d’enquête concret redéploie une puissance d’agir, une capacité d’action chez les personnes. Nous allons donc proposer au groupe de vivre l'animation de la boussole qui permettra de mettre ses concernements au centre d’un tissu de relations d’appartenance. La boussole est un dispositif qui permet de rassembler et de mettre en forme les concernements et des parties de territoires de subsistances* en assemblant tout ce qui s’est passé dans les exercices précédents.
L’objectif de cette phase est de rechercher, dans le respect des choix de chacun.e, les engagements que nous allons installer. Et de voir comment nous pouvons les renforcer par des pratiques collectives (pas nécessairement au sein du groupe), des participations à des projets et associations déjà existants ou la création de nouveaux dispositifs collectifs. Que ce soit personnellement, en famille ou en collectif, quel.le.s peuvent être les actes et les transformations que nous pouvons accomplir ? Quels choix je fais,nous ferons, pour rendre justice, soin et attention à la vie, aux conditions d’existence* du vivant? À quoi vais-je renoncer ? Que vais-je, qu’allons-nous renforcer comme gestes, pratiques, exercices dans nos vies quotidiennes ?
Les personnes qui animent doivent guider le groupe à travers ces étapes afin que chacun.e trouve son concernement, ce qui l'émeut et qui le/la mobilise. Soyez attentif.ve à ce que chacun.e peut ressentir. Nous insistons sur le fait que ces questionnements et cheminements peuvent chambouler fortement.
Nous proposons d’inviter à explorer de nouvelles pratiques et de nouvelles visions, construire de nouvelles résistances. Avec ses élans, passions, compétences, chaque personne peut trouver son intention, son cadeau au monde, sa contribution au sein de communauté d’appartenance.
Poursuivre l’enquête
Une fois au milieu de notre boussole, entouré.e de ce dont on dépend, ce à quoi on tient, ce qui nous menace, qu’est-ce qu’on fait ?
Nous proposons d’enquêter sur des pistes d’actions, sur ce que chacun.e peut faire, avec qui, comment, ce qui peut être changé ou non, etc. Et ce travail d’enquête ne s’arrête jamais. C’est en cheminant au fur et à mesure que notre compréhension de nos réseaux de subsistance et d’appartenance va se dessiner. Et une des hypothèses de nos recherches est que, au plus nous pénétrons nos territoires, au plus cela vient nous pousser dans le dos, nous faire gagner en puissance d’agir.
Notre cheminement étant encore en construction, la phase qui suit la boussole est pour le moment un temps de clôture des ateliers pour montrer que nous ne sommes pas tou.te.s seul.e.s. Nous proposons de prendre un temps pour que chacun.e puisse exprimer les réseaux que les personnes connaissent qui prennent soin des conditions d’habitabilité*. C’est un peu un moment de mise en réseau entre les personnes du groupe. Cela permet aussi de venir donner des pistes d’actions, de liens, d’ouvertures avec le concernement de chacun.e.
Nous souhaitons encore une fois insister sur l’importance des allers-retours qui se font entre les différentes étapes du processus. Ce n’est vraiment pas une démarche linéaire, mais bien des cheminements qui permettent des métamorphoses et qui alternent de manière non linéaire agir, enquête, questionnement, etc…
Vous trouverez les ressources d'animation adaptées à chaque cycle dans la section cycles d'animation